Voici un extrait « coupé » au montage du tome 1 et non retravaillé.
Lors du premier travail de recherche, j’étais tombé sur ce document (Monsieur X) et je l’avais trituré pour en sortir du jus faux-vrai/vrai-faux. J’ai, par contre, conservé les personnages ! Bonne lecture chers lecteurs.
Bruxelles, le 9 janvier 1986
L’homme se pointa avec sa Peugeot 205 GTI verte sur le parking du restaurant situé une banlieue bourgeoise de l’agglomération bruxelloise, à quasi mi-chemin entre Bruxelles et Waterloo, presque en bordure du Brabant wallon. Le rendez-vous avait été pris après une première rencontre à la taverne Frekeriksborg quelques jours plutôt. Habitué à fréquenter des endroits qui n’étaient pas huppés, il se sentit soudainement mal, comme pas à sa place. La petite citadine faisait mine de voiture du pauvre sur ce parking joliment achalandé en Mercedes, Saab et autres rutilantes. « Espérons qu’il n’y ait pas de voiturier » songea-t-il !
Il avait pensé entrer par la grande porte dans les services de renseignement. Bien sûr qu’en tant que journaliste d’investigation il connaissait plus ou moins la musique. Il avait déjà voyagé à l’étranger sur des terrains où les conflits faisaient rage. Liban, Afrique méridionale, centrale et même noire. Mais là, c’était autre chose. Dîner en tête-à-tête avec le patron de la Sûreté de l’État, c’était pour lui une forme de reconnaissance.
Un demi-Graal car il ne fallait pas charrier, la Sûreté ce n’était pas non plus la CIA et encore moins le prestigieux Mossad. Et pourtant en lors de son aliah en Israël, il avait tout fait pour être repéré, tout fait pour entrer au service du plus particulier des services secrets que comptait la planète. L’Institut — comme le disent les initiés — avait à son actif beaucoup de succès et ses échecs n’étaient pas légion ; en tout cas Tel-Aviv n’en faisait pas état. Cela tranchait avec l’affaire du Rainbow Warrior où la DGSE venait quelques mois plutôt littéralement de merder par l’incompétence ministériel et l’appétit présidentiel. Quoi qu’il en soit, le Mossad n’avait pas voulu de lui et il avait décidé de devenir journaliste pour approcher, même de près, son rêve : travailler dans le secret, être au cœur des événements, manipuler et agir sur l’opinion.
Déjà en contact avec les services français qui le rémunéraient pour les quelques informations « off the record » dont il disposait, il sentait la carrière poindre, tout devenait possible maintenant au vu des événements et de la tension. Tel un alchimiste, il était certain de changer le plomb en or. Les années de plombs allaient lui donner l’occasion d’assouvir un de ces autres vices : l’argent et les facilités qui y étaient intimement liées.
Les Belges s’étaient avérés plus rapides que leurs voisins d’outre-Quiévrain. Un premier contact lors d’un séminaire sur l’atlantisme par le biais du Monsieur Renseignement au quotidien Le Soir et les mouches s’étaient affairées autour de de lui.
- Bonjour. Je m’appelle Henri et je travaille au Ministère de la Justice. Et vous êtes ?
- Claude Breton. Correspondant pour L’Express.
- Enchanté. Vous êtes français ?
- Oui et non. Ma mère est belge et mon père est originaire de la Manche. Je suis donc français en France et belge en Belgique. Cela a ses avantages.
- Sans doute, laissa échapper l’homme songeur.
La conversation avait continué normalement. L’on avait évoqué la Ligue Anti-Communiste et ses actions contre le fourbe ennemi à la serpe et au marteau. Breton avait bien compris que l’on tentait ici de juger de son patriotisme occidental et de son aversion contre le Rouge, le mal absolu. La position américaine sur les affaires belges intéressait Henri. Au fur et à mesure, il avait senti que l’agent lui faisait passer une sorte d’interview. Les gens travaillant au Ministère de la Justice et ne disant pas réellement ce qu’ils font sont obligatoirement des agents de la Sûreté de l’État ! André, son ami journaliste qui l’avait introduit dans cette soirée le lui avait répété maintes fois. L’espion devait insistant et finit par lâcher l’information, son vatout !
- N’avez-vous pas été entendu dans une affaire qui concernait les CCC Monsieur Breton ?
- Entendu ? questionna-t-il en gardant et un sang-froid à toute épreuve.
- Par la justice, bien sûr !
- Vous en savez certainement plus que moi sur le sujet. Je sais ce que j’ai dit au juge mais je ne sais pas ce qu’il en a pensé.
- Pas que du mal à ce que je sache, ironisa Henri.
S’il s’était offusqué de cette incursion dans son passé, s’il avait joué au « I’m so shocked », le contact se serait arrêté là, et c’est là tout ce que voulait éviter l’honorable correspondant en herbe. Ce contact avec le Service, il le voulait même s’il ne savait pas encore vraiment pourquoi. Son but n’était pas clairement identifié, il n’avait pas de « commandes » spéciales pour les canards pour lesquels il travaillait à la pige. La seule chose dont il était sûr et certain c’est que tout lui disait en lui qu’il devait aller au contact et travailler en collaboration avec les services secrets, peu importe leurs bords, peu importe la bannière qu’ils défendaient. Cela le tenaillait depuis qu’il était tout petit, en fait depuis que son père l’avait initié aux grands secrets des loges et de la franc-maçonnerie. Les Frères, ce serait une étape ultérieure ! La bourse avant la tête, et la spiritualité pour la postérité. Il tenait cela de sa mère, cet esprit pratique.
Il ouvrit la porte de la 205, en sortit et prit soin de remettre son imper gris à motif intérieur Burberry. Il avança vers la porte du restaurant et s’engagea directement vers la table ou était assis l’homme que l’on avait décrit à la taverne. Il lissa les poches de son pantalon de velours et vérifia qu’aucune miette n’était venu entaché le pull à col roulé noir qu’il s’était offert avant le déjeuner.
- Claude ? Enchanté. Appelez-moi Hilaire déclara l’homme avec le foulard vieux-jaune.
- Enchanté Hilaire. Ravi de vous rencontrer.
- Mais asseyez-vous. Vous êtes garé sur le parking.
Il hésita. Très vite, il pensa que l’on pourrait placer un micro dans son véhicule ou quelque chose comme ça. Il se ressaisit rapidement. Inutile de mentir.
- Oui. Enfin je crois que c’est le parking de la maison.
- Très bien. Vous voilà en sécurité, vous et votre véhicule. Mon chauffeur prendra soin de veiller aussi sur votre petit bolide.
Il savent vraiment tout pensa-t-il. Le garçon de salle arriva, et déposa un autre Martini rouge devant le maître-espion. Cela devait être le deuxième. En revanche, il n’avait pas touché aux olives et aucune trace d’un éventuel préconvive. Pourtant, il était à l’heure ne supportant pas d’être en retard et puis il aurait préféré encore être en retard à son mariage plutôt qu’à cet entretien où il sentait qu’il embrassait une nouvelle carrière. Pour lui ce serait une bière, une simple bière. Son penchant pour le bon alcool et les élixirs hors de prix n’était pas encore avéré. Il alluma une Belga filtre, l’appétence pour le barreau de chaise n’était encore qu’en gestation, faute de moyens sans doute.
- Entrons dans le vif du sujet voulez-vous mon cher ami. Comment pourrions-nous collaborer ? Comment vous partager entre vos activités de journaliste et notre institution ?
- À vrai dire, je ne cherche pas grand-chose et je suis ici parce que je suis un patriote !
- Vous cherchez donc à nous rendre service ? C’est bien cela ?
- Oui. Enfin, oui bien entendu à vous rendre service mais surtout à être utile à la patrie.
- Laquelle Monsieur Breton. Car voyez-vous, j’ai décidé de vous rencontrer en personne. D’abord parce que votre travail de journaliste est remarquable mais c’est, bien évidemment, le cas de beaucoup de vos confrères. Ensuite parce que j’ai pensé que vous mettiez tout en œuvre pour entrer en relation avec notre service mais surtout parce qu’entre votre patriotisme français, le belge et vos attitudes et prises de position à l’égard d’Israël me laissent un peu pantois ! Je me suis dit, voilà un homme bien étrange qu’en qualité de responsable d’une partie du service, je me dois de rencontrer.
- Et je vous en remercie Monsieur le. Vous savez je suis avant tout européen si je puis m’exprimer ainsi. Israël, c’est tout simplement parce que mon père est juif. Rien de patriotique dans tout cela mis à part un séjour en kibboutz. Pour ce qui est de la France. Eh oui, je suis aussi français mais j’ai toujours vécu en Belgique. Et puis nul n’est prophète en son pays, paraît-il.
- Soit.
Ce qui inquiétait le plus et, il faut bien le dire, intriguait plus Hilaire c’était les relations que Breton avait pu bâtir au cours des sept dernières années. Les Phalanges au Liban, les CCC en Belgique, probablement la DGSE en France et quelques chefs tribaux en Afrique. L’homme avait aussi de nombreux contacts avec le RAND, le service de renseignement sud-africain ! Le RAND, ce service qui à la simple évocation de son nom faisait frémir tant les moyens utilisés par ce dernier n’avaient rien à envier aux plus basses besognes réalisées par les services spéciaux nazis dans les années trente et quarante. L’homme était jeune, certes. Vingt-huit ans au compteur et une belle expérience, un charme presque fou et un aplomb hors du commun. Très vite l’on pouvait sentir les faiblesses de ses forces. Breton était vénal, amoral, parfois imprudent, un peu dérangé, imprévisible, inconséquent et égocentrique. Si l’on pouvait ajouter mégalomythomane, la teinte masochiste était difficile à révéler. Hilaire repensa à ses débuts et se prit d’amitié pour le jeune journaliste.
- Soyons donc direct Claude. Voulez-vous ?
- Je préfère cela.
- On me rapporte régulièrement que vous avez des contacts très intéressants dans un milieu qui pourrait m’intéresser sous certaines conditions.
- Mais encore ? J’ai des contacts un peu partout. À gauche, à droite, chez les bons et chez les méchants et tout le monde pense que je suis de son avis… même si j’écris souvent le contraire dans mes papiers.
- Vous avez cette propension à vous fondre dans le moule non ? On finirait par vous croire opportuniste !
- Mon métier c’est de ramener de l’information. Quand elle est à destination du public, elle doit être filtrée. Si je la réserve pour vous, elle sera recoupée mais brute. Jamais étoffée ni manipulée.
- Je ne vous le conseillerais pas de toute manière. La pulpe de l’anticommunisme. Voilà ce qui m’intéresse. Je sais que vous avez noué des contacts lorsque vous étiez encore très proche de Carette et de ses Cellules Communistes Combattantes. Je sais que vous avez lâché le morceau devant le juge et je sais aussi qu’il vous a couvert pour les valises.
Les valises. Breton se sentit pris dans un étau à balance. Le juge avait promis de ne jamais parler des valises. Jamais.
Il comprit alors pourquoi un des hauts responsables de la Sûreté tenait tant à le voir. C’est vrai à près tout. Une source ou un indicateur géré, traité directement par un TOP10, c’était de la folie. Ce n’étaient pas les réseaux maçonniques paternels qui avaient travaillé et favorisé le contact. Hilaire, en plus était plutôt du genre à suivre la messe en latin et à croire en l’Œuvre de Dieu, l’Opus. Ce n’était pas non plus André le journaliste, le mentor des débuts. Non ce n’était pas Breton qui était venu à la Sûreté mais bien elle qui était venue à lui et plus particulièrement par le biais de sa hiérarchie la plus haute. Quelque chose d’autre se tramait. Certes il y avait bien eu les signaux lancés vers les amis, les flics et tout le toutim mais cela ne pourrait jamais justifier la présence d’un ponte ici et maintenant.
- Votre enquête sur les réseaux dormants de l’OTAN se passe bien ?
- Elle me résiste. Il faut bien avouer que sortir une chose pareille serait prendre des risques personnels mais en faire prendre à d’autres aussi. D’autres patriotes tous prêts à lutter pour la liberté et conte l’oppression.
- Dans les années septante, vous pensiez le contraire non ?
- Comment prendre position sans savoir ? Le communisme c’était une expérience de jeunesse pour moi.
- Une ? Une erreur vous voulez dire ?
- Non, une expérience. Il faut connaître son ennemi non ? D’ailleurs n’avez vous pas utilisé bon nombre d’anciens nazis pour créer les services occidentaux ? N’avez-vous pas accepté au sein des institutions les plus sensibles les pires d’entre eux ? Certains collaborateurs sont devenus de puissants fonctionnaires.
- C’est une expérience et je vous l’accorde. Tout le monde peut se tromper. Tout le monde au moins une fois, après ça devient de la provocation, presque du suicide. L’erreur, dans certains cas de figure idoines au vôtre, ne doit plus jamais être faite.
- J’en ai bien conscience. Et je dois bien avouer aussi qu’un sentiment de vengeance m’anime quant à ces rouges-là. J’ai failli faire de la prison pour un faux idéal. L’idéal c’est la liberté par la privation de celles des autres. Seule la liberté occidentale doit triompher. Après tout, le partage pour tous n’est qu’une utopie, une vue de l’esprit où il est plus facile, quand on est un puissant de l’être encore plus.
- Je vous l’accorde. Venons-en aux faits.
Le commissaire Hilaire avait situé le contexte.