Dimanche 6 novembre 2016, dans le centre historique de Kilis, Turquie
Plus le pékin s’enfonçait dans la rue commerçante, plus elle se rétrécissait !
Le contenu des échoppes évoluait aussi. Au début de la rue, on y trouvait un peu de tout : fripes, fruits secs, vêtements religieux, Smartphones et babioles made in China. Lorsque celle-ci devenait ruelle, les motifs camouflages se faisaient légion, les cartouchières et les gilets tactiques remplaçaient tout ce qu’il restait de pacifique dans cette poudrière.
Celui dont le passeport français mentionnait le nom de Rémy Janssens, né à Dunkerque le 12 octobre 1973, arriva devant une sorte de cybercafé tout droit sorti d’un mauvais remake de Blade Runner. L’ambiance y était pesante. Le tenancier, mal rasé, avait un air de truand avec ce regard noir et suspicieux.
À droite, comme à gauche, de ce bâtiment tout en longueur, de petites tables séparées par des murs en carton accueillaient de vieux ordinateurs aux écrans cathodiques sur lesquels trônaient de désuètes webcams en forme de boule. Quatorze emplacements offraient ainsi à qui payait par demi-heure et pour quelques Yeni Türk Liras, la possibilité de se connecter « discrètement » sur l’Internet, pour surfer ou pour converser en live via Skype.
Rémy Janssens prit place dans l’avant-dernière demi-cabine, sur la gauche. Il avait eu du mal à ne pas regarder ce qu’affichaient les différents écrans croisés durant son périple jusqu’à la place indiquée par l’acolyte nain du rugueux tenancier. Il avait dû enjamber quelques sacs à dos, dû éviter quelques manches de parkas traînant sur le sol, le tout sans renverser la canette de 33 cl de Mecca Cola qu’il tenait à la main.
Devant lui, le ventilateur du vétuste PC Compaq ronronnait. Le clavier jauni était quelque peu poisseux, et le fil torsadé qui le reliait à l’unité centrale était déchiré à plusieurs endroits. La présence d’un lecteur de disquettes le laissa perplexe.
La pièce enfumée empestait l’odeur âcre d’improbables cigarettes locales. Un nuage bleu-gris flottait et Rémy Janssens alluma une Camel sans filtre dont les volutes ne changeraient rien à la chose. Il se connecta au réseau privé VPN mis à disposition par ses Frères déjà au Sham. Il envoya un message court, codé et anodin pour confirmer qu’il était bien arrivé à Kilis et que le passage de la frontière était bien prévu en soirée. Il termina par un « Inch Allah » et signa Abu Saladin.
À quelques mètres de lui, un homme typé slave le dévisagea quand il aperçut la cigarette de Rémy. D’un petit signe de tête, il l’invita à regarder son écran. Un message système[1]indiquait : MEET UP ZONE 4.
Rémy Janssens traîna encore quelques instants, en profitant pour surfer sur Internet et en laissant des traces évidentes sur son intérêt pour la ville où il était supposé être né et avoir vécu. Il consulta le site de la Mairie de Dunkerque et y chercha la page où figuraient les différentes mosquées régionales, il sortit alors un petit bloc de post-its bleus et y griffonna le numéro de téléphone du lieu de prêche situé à la Rue du Kruysbellaert. Ensuite, il se connecta sur son compte Facebook, et après avoir lu quelques messages, il le désactiva en laissant la session ouverte.
Maintenant que les traces de son passage étaient des plus évidentes, il pouvait se concentrer sur son voyage en zone de guerre. Mais avant cela, un dernier rendez-vous l’attendait.
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[1]Message que l’on pouvait envoyer sur un réseau interne via le MS-DOS en utilisant la commande Net Send. Le message affiché était presque indétectable et semblait venir de Windows. Cette fonction n’est plus disponible depuis Windows 2000.